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J’avais prévu deux articles de fond pour les jours à venir. Un articulé autour de la défense du scénario et des scénaristes de bande dessinée qui souffrent de l’importance démesurée accordée au dessin et aux dessinateurs ; l’autre pour rigoler un peu du community branling qui agite sur les réseaux sociaux différents corps de métier acteurs de la bande dessinée, c’est-à-dire les catégories d’auteurs qui en aucun cas ne se mélangent, et certains libraires flanqués de leur petite cour virtuelle. Mais mon actualité me rattrape et je me vois dans l’obligation de parler de mon rapport avec les festivals de bande dessinée, et plus précisément des raisons pour lesquelles je viens d’être évincé d’un festival duquel j’ai été partenaire durant plusieurs années.

D’Angoulême à La Souterraine, j’ai toujours été sceptique quant à l’intérêt primordial d’un festival. Soyons réalistes, retranchons les séances de dédicaces, que reste-t-il ? Bien, je vous vois venir, vous allez me parler des belles expos à gros budgets des grands festivals, des scénographies professionnelles et millimétrées avec goût (merci Marc-Antoine Mathieu), du buzz local ou national qui profite au métier dans tout ce qu’il comporte, des tables rondes plus ou moins préparées par des animateurs plus ou moins compétents, de la vitrine que l’événement peut accorder aux petits éditeurs et aux fanzines, etc. Certes, vous aurez raison. Mais combien de festivals (et il s’en tient à un à peu près tous les week-ends) ne reposent que sur la prestation de dédicace et la participation des amateurs de dédicaces, avec quand même une ou deux planches accrochées au mur pour faire bonne figure ? Ah oui, je sais, c’est du travail, du bénévolat, un sacerdoce… Ça demande du temps de préparation et d’exécution, en d’autres termes. Alors restons-en là, et tant mieux si notre seul boulot se résume à deux jours de « rencontres » avec des auteurs qui passeront deux fois une demi-douzaine d’heures assis derrière une table et devant une file de personne physiques et de sacs-à-dos pour les plus populaires, et de temps en temps un ou deux curieux pour les moins connus !

Voilà pourquoi je n’aime pas les festivals et que je ne me sens pas toujours à mon aise dans ces vases clos. Cela dit, il existe parfois une ambiance bon enfant et une convivialité qui contrebalance avec l’intérêt limité des séances de dédicace. Une ambiance qu’on peut retrouver en librairie, quand il ne faut pas sévir auprès de personnes indélicates qui n’hésitent pas à passer outre les règles de bienséance que tous les autres respectent scrupuleusement (à savoir : attendre son tour, respecter le bon ordre des tickets qui ont été distribués par les libraires, jouer le jeu en achetant un volume de l’auteur à la librairie hôtesse). Mais même en librairie, la formule est pauvre, à mon goût ; c’est pourquoi depuis quelques temps je me plais à organiser des vraies rencontres avec les auteurs, où l’on parle enfin des livres, en essayant d’oublier les dessins originaux qui pourront y figurer ultérieurement. Ces rencontres nécessitent beaucoup de travail de préparation mais c’est avec plaisir que je m’y colle avec mes collaborateurs, et même parfois des clients. Car rien ne se fait tout seul, n’est-ce pas, et il est difficile d’exiger des autres une certaine forme d’excellence si on n’applique pas la règle à soi-même. Il se trouve que cette formule recueille une belle adhésion, au-delà même de mes espérances. De là à conclure qu’elle suscite une véritable attente d’un certain type de lectorat, il n’y a qu’un pas, que je fais allègrement.

L’ambiance des festivals me rappelle souvent celle d’un bordel militaire. On fait la queue dans le but d’obtenir une faveur, les plus gourmands y reviennent, les plus impatients (ou les moins éduqués) se débrouillent pour figurer dans plusieurs files d’attente à la fois et usent même de stratagèmes pour pouvoir pénétrer avant l’heure dans le lieu saint. Que resterait-il si les filles abandonnaient la maison ? À quoi jouerait-on ? Est-ce que c’est seulement ça, la bédé, un temple dévolu à de grands enfants qui imaginent avoir fait la connaissance d’un ou plusieurs auteurs alors que c’est surtout l’obtention d’un dessin original qui les fait bander ?

Bien entendu j’exagère le trait. Bien entendu j’ai moi-même un paquet de bouquins dédicacés à la maison. Bien entendu, l’exercice de la signature est indispensable à la tenue d’un festival parce qu’il symbolise le tête à tête et grave le souvenir mieux qu’une photo. Mais pourquoi diable ne se concentrer que là-dessus dans une organisation ? Est-ce de la fainéantise ou du renoncement ? Bêtement, c’est un manque d’imagination.

Or donc, l’association qui préside aux destinés du festival en question a décidé de se défaire du partenariat qui nous liait. En terme de librairie, bien sûr, mais en terme de mise à disposition de mes compétences également. Il faut savoir qu’à l’occasion de sa première édition, j’ai fourni un plateau d’auteurs pratiquement clés en main, grâce à mes contacts, grâce à mes relations. Je crois comprendre maintenant que cette intervention, en plus de ne pas avoir été reconnue à sa juste valeur et avoir surtout été passée sous silence auprès des différents bénévoles qui forment le « groupe », a mis un peu les dirigeants dans l’embarras. Un embarras du type : à quoi sert-on finalement ? De fil en aiguille, ils ont repris la main et décroché eux-même le téléphone. Très bien, ça me paraissait plutôt sain comme réaction. J’allais me contenter de faire ce que je sais faire depuis toutes ces années durant lesquelles mes enfants ont grandi sans que j’ai le temps de m’en apercevoir : commander des livres, les sortir du carton, les contrôler, scanner les codes-barres, remettre les livres dans le carton, les ressortir, remettre dans le carton les invendus, les ressortir, scanner les code-barres, renseigner les quantités, remettre les livres bien calés dans un carton, fermer le carton, appeler le transporteur pour qu’on prenne en charge les colis de retours aux fournisseurs… J’ai échoué. Et pourtant, malgré les sentiments que j’ai développé plus haut vis-à-vis de la vacuité de certaines organisations, je me plaisais bien dans ce festival tout basique et j’étais malgré le manque d’imagination content d’être là, de faire partie de la fête.

Mais il me faut préciser une chose, c’est que depuis longtemps j’ai appris à être tricard. Délit de grande gueule, en quelque sorte. Mais je gagne à être fréquenté. Quand on ne me connaît pas, on ne m’aime pas. Quand on me connaît, on m’aime trop. Je sais, c’est de l’humour un peu lapidaire, mais il traduit bien des gimmicks que je n’ai cesse de croiser toujours et partout. Pourtant, sur ce salon, connaissant la susceptibilité de certains et la vanité d’autres, j’ai toujours fait attention à ne jamais prononcer un mot plus haut que l’autre. Je me suis d’ailleurs trouvé plutôt enjoué dans mon attitude. Ça ne suffisait pas. On m’a reproché de ne pas montrer assez d’implication et de ne pas avoir su conseiller à un élu (la boulette, un élu!) des livres pour la jeunesse que je n’avais pas plus lus que la plupart des organisateurs et bénévoles présents sur le salon. Et, pour éviter les raccourcis de cour de récréation, les « on ne t’aime pas » qui n’auraient pas fait très sérieux dans la bouche d’éminents adultes, on a prononcé le mot élitisme. Tu es élitiste… Tes sélections mensuelles dans le cadre de ton prix qui est sensé récompenser la « meilleure » bande dessinée de l’année (et pour lequel j’offre mille euros de mes propres deniers au(x) lauréat(s) – sans passer par Ulule) sont élitistes. Ce n’est pas la bande dessinée que nous souhaitons défendre. Autrement dit, je ne suis pas raccord, et même si je ferme ma bouche sur le festival, mon image n’est pas la bonne pour son avancée triomphale. On n’est plus à un amalgame près, dans notre vie : si défendre un type ambitieux de bande dessinée est effectivement mon credo, je prends soin dans ma librairie de mettre en permanence en valeur des titres grand public. De Blueberry à Tyler Cross, même du Léo, Seuls, Lou, Gibrat, Juillard, le Chninkel, j’arrête là mais ce n’est pas ça qui manque. On ne retient toujours que ce qu’on veut retenir. Et ce qu’on veut retenir de moi, ce n’est pas de l’incompétence ou un manque de professionnalisme, c’est que je ne triche jamais et reste franc et direct (le contraire d’un homme politique), et ce seul sentiment suffit à convoquer les membres de l’association pour un vote sur la question : est-ce qu’on le garde ou pas ? Il est tellement facile d’être livré à la vindicte populaire lorsque les solutions de rechange existent… Bien entendu, dès qu’il est question de suffrage universel (ou peu s’en faut), on s’en remet aux votes de personnes qui ne savent rien des tenants et aboutissants des affaires. De mes affaires, en l’occurrence, et de celles d’un personnel qui se félicite d’être mieux traité (dans l’acception « traitements et salaires ») chez moi que dans beaucoup d’autres librairies, à commencer par celles de la ville qui n’ont d’indépendant que l’étiquette de vitrauphanie « Label LIR » et qui avant tout réagissent selon des critères imposés de rentabilité. Mais c’est toujours la même chose avec le social, on est pour… En théorie… Et le « groupe » l’emporte toujours sur l’individu.

Je me doute que ce billet ne va pas faire que des heureux. Pourtant je me devais de l’écrire. Je ne souhaite pas être plaint, loin s’en faut. J’estime simplement être victime d’une injustice, dans tout ce que le terme peut refléter en malentendus, jugements arbitraires, et décisions à l’emporte-pièces dont les conséquences dépassent complètement ceux qui les ont prises. Une injustice qui s’articule autour d’une justice expéditive. Rien que pour cela, je ne veux pas me taire. Et tout ça pour un festival de bédé.