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Souvenirs de l’Empire de l’Atome, un titre aussi étrange que l’est ce récit à l’allure surannée. Résolument fifties. En tout.
À commencer par le contexte graphique qui découle de toute une symbolique american way of life déclinée en produits de consommations innovants et haut de gamme. Les dessins s’appuient à merveille sur l’imagerie publicitaire d’époque et le développement du design et de la griffe, un peu comme les plans dans Mon oncle de la villa Arpel. On y retrouve aussi un habillage cartoon dans le traitement des personnages et l’utilisation des couleurs.
Le thème, quant à lui, rejoint les préoccupations scientifiques à la mode en ce temps : la conquête spatiale, la recherche atomique. Mais son développement colle davantage à l’esprit des séries de science-fiction comme La quatrième dimension ou Hitchcock présente qu’à un méli-mélo rocambolesque d’espionnage. Et au roman éponyme de Van Vogt… Un vrai comic book, quoi ! La rêverie, le conte et la domination psychologique plutôt que la force de l’intrigue. Et bien sûr, qui dit années cinquante, bande dessinée, atome, scientifique… dit forcément Champignac… ou Zorglub.
Or donc, Paul, depuis l’âge de quatorze ans, communique de manière télépathique avec Zarth Arn, une huile de l’Empire des Étoiles, qui doit sa splendeur aux faits d’armes qui ont rendu la paix dans la galaxie. Cent vingt mille années les séparent. Bien sûr, cet agrément sera plutôt reconnu comme un désagrément et lui vaudra une relation privilégiée avec un psychiatre, lequel ne pourra s’empêcher de s’épancher dans la presse et de faire état de la pathologie bien particulière de son client, et tellement intéressante, surtout aux yeux de Zelbub.
Le découpage des séquences est déconstruit dans le temps, ce qui constitue une manière assez habile d’hypnotiser le lecteur et lui faire oublier toute notion chronologique en le bringuebalant d’une époque l’autre. Il est alors parfois nécessaire de revenir quelques pages en arrière pour comprendre à sa juste valeur l’importance d’une scène. J’allais dire que c’est justement une des caractéristiques d’un livre que de laisser celui qui le découvre seul maître du rythme de lecture. Ce livre-là, outre son étrangeté, est profondément attachant. Il dégage un charme particulier, c’est un peu Noël à toutes les pages. Le travail d’Alexandre Clérisse ne laisse rien au hasard. Ce gars est sans nul doute un perfectionniste du perfectionnisme. Sans en rajouter, il crée une atmosphère, un univers original. Le moindre détail est narratif, tout en gardant sa saveur décorative. Le style est là, à la fois référencé et singulier. Il est le moteur principal du livre écrit par Thierry Smolderen, dans un registre différent des autres titres qui constituent sa bibliographie, déjà éclectique : entre Gipsy et Windsor McCay, il y a un monde. Je ne sais pas s’il a pensé cette histoire pour Clérisse, mais j’ai l’impression que les deux auteurs ont dû travailler étroitement tant je sens une cohérence, une mécanique qui fonctionne bien.
Je suis très emballé par cette bande dessinée. Le conte héroïque, figure qui d’ordinaire ne me touche pas vraiment, trouve ici un terreau idéal, celui de la fantaisie. Pas la fantasy, mais une approche un peu distanciée, sophistiquée, d’un temps révolu et graphique, une forme d’hommage et de clin d’œil.
Puisque la création du livre s’accompagne de multiples références et que les auteurs-mêmes s’en réclament (voir le blog très complet consacré au projet: http://empiredelatome.wordpress.com/), penchons-nous là-dessus, histoire d’y voir plus clair.
Le contexte atomique, symbolé par L’Atomium (que Franquin immortalisa en son temps) créé pour les besoins de l’Exposition Universelle de 1958 de Bruxelles, est omniprésent. Dans les orientations politiques d’une époque encore sous le coup d’Hiroshima, bien entendu, mais dans la littérature de science-fiction également. Les auteurs citent avant tout Van Vogt, l’auteur d’un récit de guerre atomique intergalactique, Empire of the Atom, mais surtout Cordwainer Smith. Ce garçon, qui fait l’objet d’un article dans le blog sus-cité, fut espion puis écrivain de science-fiction. Sa grand-œuvre est constituée de nouvelles regroupées sous le titre Les seigneurs de l’instrumentalité. En outre, la rumeur circule que Cordwainer ne ferait qu’un avec Kirk Allen, le patient d’un psychiatre atteint du mal télépathique dont souffre Paul, le personnage principal de notre livre.
La bande dessinée américaine de science-fiction est aussi citée par les auteurs en tant que référence: Buck Rogers, le travail d’Alex Raymond.
En ce qui concerne l’inspiration graphique et le design, Alexandre Clérisse évoque Franquin, bien sûr, mais aussi des illustrateurs américains comme Charley Harper ou Jim Flora.
Il y a une unité remarquable dans Souvenirs de l’Empire de l’Atome. Les auteurs ont digéré toutes ces références pour aboutir à une œuvre originale et très racée.