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Le match de tennis le plus improbable de l’histoire du sport et de la bande dessinée, c’est ce à quoi Grégory Panaccione convie son lecteur.
À la gauche du siège d’arbitre, l’Anglais Rod Jones, dont on devine au regard la détermination et admire le physique affûté. De l’autre côté du filet, le Français Marcel Coste, qu’on connaît pour être le patron du sympathique chien Toby qui assiste à la partie au bord du court. La surface est rouge, les tribunes de l’arène combles et l’affichage du score électronique. Même si l’on procède à un tirage au sort rudimentaire en devant choisir le M ou le W (initiale de la marque Wilson) qui s’affichera sur le talon de la raquette selon le côté duquel elle tombera après un vol rotatif, l’environnement du match et la proximité en tribune d’une coupe et d’un plateau laissent à croire qu’il s’agit ni plus ni moins que de la finale de Roland-Garros, mais un Roland-Garros sponsorisé par une marque d’anisette. Comment Marcel a-t-il fait pour se hisser à ce stade de la compétition avec son embonpoint et sa panoplie inadaptée, nul ne le sait ni ne le dit. Toujours est-il qu’il débute la partie sous les meilleurs auspices puisqu’il en remporte le toss. Mais en tennis, avant de penser à gagner les points, il faut surtout prendre garde à ne pas commettre d’erreurs…
Avec Match, Grégory Panaccione continue d’explorer les possibilités de la narration muette en bande dessinée. Le pari semble ici osé : raconter une partie dans son intégralité, point par point, sans ellipse ni dialogue, sans le son des applaudissements, des « han ! » et autres « oh oui ! » ; autrement dit, une gageure. Le tennis est devenu un sport mortellement ennuyeux depuis que Nastase, McEnroe et Connors sont devenus commentateurs, alors comment arriver à intéresser un lecteur de bande dessinée pas forcément porté sur la petite balle jaune que les rigolos ne frappent plus ? C’est sans doute la question que l’auteur s’est posée en offrant le premier rôle à Marcel Coste, son look pas possible et ses frasques. Si Jones incarne le sportif aguerri rompu aux exigences du circuit mondial, Coste serait plutôt de la veine de l’antihéros, celui qui est arrivé là un peu par hasard, comme Michael Chang, ses services à la cuillère et son placement d’attente en retour au milieu du court. Sportivement, ça peut parfois surprendre ; dans une bande dessinée, ça a le mérite de mettre les rieurs de son côté. La technique contre la présence, la solidité opposée à la volonté, la tactique devant l’intuition. Le yin face au yang.
Match est construit comme un manga : l’espace entre les cases demeure extrêmement réduit et les actions s’avèrent astucieusement décomposées, de la description des échanges aux événements qui les précèdent ou les ponctuent. Le mouvement est continu, le rythme haletant. On se surprend à tourner les pages avec avidité, à mesure que le suspense grandit. Car oui, la partie est prenante et engagée, et en tennis comme dans la vie, la vérité d’un instant peut toujours être contredite par le moment suivant.
Sans prétention aucune ni ambition démesurée, Match est un grand moment de bande dessinée.